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Roger Otahi : mise au sens cosmique

Roger Otahi

Roger Otahi 3

1925 – 1994

Tenter d’appréhender la pensée et le destin de Roger Otahi, c’est citer d’abord Cioran qui écrit dans ses syllogismes de l’amertume :

« j’aime ces peuples d’astronomes, chaldéens, assyriens, précolombiens qui, par goût du ciel, firent faillite dans l’histoire ».

Cette remarque s’applique à Otahi, « l’homme aux neuf planètes » dans le Signe tropique du Cancer / Maison IX. Son ami,  Jean Carteret, s’en délectait et le faisait savoir à tous vents dans les salons littéraires parisiens d’une époque révolue. L’astrologue con-sidérait cette configuration horoscopique comme d’une rareté inouïe. C’est ainsi, sous les auspices d’un amas planétaire exceptionnel, que naquit Roger Otahi le 30 juin 1925, dans le département de l’Aisne. Nous savons très peu de choses sur les premières années de sa vie, son enfance, sa jeunesse et sur celles qui ont marqué le début de sa majorité.

Adversaire déclaré du créationnisme, insolent contempteur des cultures et des religions décadentes, des vanités sociales, très tôt, Roger Otahi poussa sa pensée vers les territoires suprahumains de la non-pensée, là où le fantastique, l’effroi et le sublime s’alchimisent aux confins des infinis possibles. Sa maison IX, hautement habitée, le propulsa vers le supramental de Sri Aurobindo (suivre le lien).

A l’opposite, l’oeuvre de John Cowper Powys occupa une place considérable dans le processus interne de sa vision cosmogonique comme si, sans se confondre, l’Infinitude rejoignait l’Immémorial aux asymptotes de la courbe évolutive. Otahi nourrissait ainsi un penchant pour le moins singulier avec le concept, mieux le percept du « moi ichtyosaure », thème powysien récurent au sein même de l’ouvrage « Apologie des sens ».

Notons en passant que Sri Aurobindo et John Cowper Powys sont nés la même année, en 1872, à quelques mois d’intervalle… 1872 : l’année des Illuminations de Rimbaud ! Ne pas évoquer Arthur Rimbaud et Gérard de Nerval, ce serait amputer sévèrement le cerveau noétique de Roger Otahi. Rimbaldien jusqu’au bout des ongles, il citait souvent celui qu’il nommait « son Grand Frère » : « nous ne sommes pas encore au monde… ». Avec Nerval, il avait l’Etoile, l’Hermite et la Mort au Tarot… Ajoutons un soupçon d’humour d’outre-Manche (Oscar Wilde, William Thackeray, Ambrose Bierce) et chacun se fera une idée plus ou moins précise de notre homme aux neuf planètes en Cancer / Secteur IX

Encore une fois, sur le versant astrologique, soulignons la singularité atypique du stellium planétaire de Roger Otahi, ledit stellium, en son essence, dépassant largement le « champ de la révolution cognitiviste » qui donna naissance, à la fin des années 1950, aux « sciences cognitives ». Chez Otahi, c’est la notion de « percept » (qui s’oppose au « concept ») qui apparaît comme dominante, celle qui, sans cesse, guide et nourrit  son rapport au monde comme un phénomène essentiellement dynamique et émergent. Tous ceux qui l’ont connu et approché ne sont pas restés indifférents ou insensibles face à l’envoûtante résonance  de son logos. Verbe de chair, organique et minéral véhiculant quelque langage secret issu à la fois  de sombres et lumineuses contrées intérieures où les flancs des sommets renvoient l’écho de gouffres enfouis dans la mémoire abyssale du temps et de l’espace. Ecouter Roger Otahi, entendre la portée des mots dans la densité silencieuse entre et par-delà les mots, c’était se tenir au bord d’un précipice avec pour ciel des milliards de galaxies… De toute évidence, sa trajectoire existentielle, personnelle, se solda par une faillite totale… Aurait-il sombré dans l’oubli ?


Roger Otahi 1

Roger Otahi (1980)

J’ai connu Roger Otahi au printemps 1977 par l’intermédiaire de Pierre Pellerin, Fondateur et Président de l’Association des Journalistes-Ecrivains pour la Nature et l’Ecologie (JNE). A l’époque, j’éditais la revue Surya. Pellerin en avait pris connaissance, puis retransmis l’info vers Otahi… Message sur mon répondeur.  28 avril 77 à 15 h : le rendez-vous est fixé à La Coupole, la célèbre Brasserie, sise 102 boulevard du Montparnasse à Paris. Point de départ d’une amitié et d’une complicité culturelle qui durera 17 années.

Les civilités d’usage échangées, très vite la conversation embraya sur le yoga, Krishnamurti, Alan Watts, le Bouddhisme Zen et sur les rapports entre l’Orient, le Romantisme allemand (Novalis, Hermann Hesse) et le mouvement littéraire du Transcendantalisme américain (Thoreau, Whitman et consorts…). Le duel dialogal dura trois ou quatre heures. J’en sortis abasourdi, hébété. Je venais de rencontrer sur mon chemin un monstre inqualifiable, inclassable…

Durant ces dix-sept années d’amitié, nous avons nourri moult projets. D’abord refondre les contenus thématiques de la revue Surya en une nouvelle édition rebaptisée en la circonstance « Convergences ». Le projet est resté au « point mort » en raison de coûts exorbitants. Au cours des années qui suivirent, alors que nous nous rencontrions deux fois par semaine, le « monstre » m’adressa, au bas mot, 700 lettres, chacune contenant 10 à 20 pages… Un torrent de réflexions (philosophique, métaphysique, scientifique, ufologique, psychotronique, astrophysique, ésotérique, poétique, politique, écologique…) à ne plus savoir qu’en faire, comme si la transmission orale ne suffisait plus. Mon ami persistait dans l’écriture. J’étais devenu son confident privilégié. Alors, à mes yeux, le monstre se transforma en Maître à l’instar de ceux de la période des Upanishads, la Shruti (tradition orale) se prolongeant en Smriti (tradition écrite) selon la Tradition classique des Védas et du Védanta.

De nos discussions sortit un nouveau projet, celui de publier cette « monstrueuse » correspondance sous la forme d’un ouvrage « Lettres ouvertes à… ». D’après ce que m’avait confié Otahi à l’époque, les Editions « Albin Michel » étaient preneuses. Pour des raisons obscures, ce projet n’a jamais vu le jour. Encore une fois, deux « F » au tableau : Fiasco et Faillite !

17 août 1994 : je réside en Dordogne, au lieu-dit « La Brunie », commune du Coux-et-Bigaroque, à quelques encablures de la maison paternelle et familiale de Gérard de Nerval que Roger m’avait fait découvrir une quinzaine d’années auparavant.  Deux jours plus tôt, je croise sur le Parking de l’Intermarché de Siorac, Elysabeth, la fidèle compagne de Roger. Elle me fait part que Roger n’est pas bien et qu’il souhaite  me revoir hâtivement. Nous fixons le jour et l’heure d’un commun accord. Le 17 août, je me rends à Lanceplaine, un petit village qui surplombe les anciens lits de la Dordogne. L’Hermiterre n’existe pas sur le plan cadastral, uniquement dans le coeur de Roger et d’Elysabeth qui ont fait de ce lieu, de cette demeure un havre de repos et de paix. Il est 15 h 30 environ. Me voici, fringant, devant mon Maître mais rapidement un sentiment de profonde compassion m’envahit. Visiblement, l’homme est malade, très malade… Ses pas obéissent à un effort obligé, les mains ont perdu leur assurance, le visage est ravagé par une souffrance contenue. Je connais la demeure pour y avoir vécu des heures et des jours exceptionnels ponctués de moments de joie, de bonne humeur et de discussions dont la portée dépasse les limites de l’entendement. Tout cela en fumant du Davidoff dans nos pipes (selon le rite de la tradition orale, Roger Otahi m’avait offert comme « objet de culte » la pipe fétiche de Jean Carteret) et en nous délectant de ce sublime breuvage local au nom enchanteur… Pécharmant !

Nous voici installés, comme à l’accoutumée, devant la cheminée. Roger sort de sa poche une feuille de papier froissée qu’il déplie religieusement et sur laquelle, visiblement, j’entrevois un texte apposé de sa propre plume.

- « J’ai quelque chose de très important à te lire mon Cher G… C’est fantastique ! C’est Moi dans le non-moi ! C’est ma vie toute entière… Toi seul, tu comprendras ! »

Pour saluer Melville

« L’homme a toujours le désir de quelque monstrueux objet et sa vie n’a de valeur que s’il la soumet entièrement à cette poursuite. Souvent il n’a besoin ni d’apparat ni d’appareil ; il semble être sagement enfermé dans le travail de son jardin, mais depuis longtemps il a intérieurement appareillé pour la dangereuse croisière de ses rêves.

Nul ne sait qu’il est parti… Il semble d’ailleurs être là, mais il est loin, il hante les mers interdites. Ce regard qu’il a eu tout à l’heure, que vous avez vu, qui manifestement ne pouvait servir à rien dans ce monde-ci, traversant la matière des choses sans s’arrêter, c’est qu’il partait d’une vigie de grande hune et qu’il était fait pour scruter des espaces extraordinaires.

Tel est le secret des vies qui parfois semblent nous être familières – souvent le secret de notre propre vie. Le monde n’en connaît jamais rien… parfois que la fin, l’épouvantable blancheur d’un naufrage inexplicable qui fleurit soudain le ciel de giclements et d’écume, mais même dans la plupart des cas, tout se passe dans de si vastes étendues, avec de si énormes monstres, qu’il ne reste ni trace, ni survivant…  » (Jean Giono)

Ce 17 août 1994 fut le dernier jour terrestre qui scella entre nous, à tout jamais, l’alliance du fini et de  l’infinitude… 

Le Thélémite.

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