Les origines « indo-européennes »
Aperçu sur l’Histoire
des
peuples « indo-européens »
Conférence présentée le 08 novembre 1986
(revisitée au mois de septembre 2018)
Cercle d’Etudes Historiques et Philosophiques (Angers)
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Chers amis, Bonsoir !
Monsieur le Président, suite à notre entretien du 12 octobre dernier, à la demande de votre auditoire, vous m’avez prié très amicalement de présenter ici-même un exposé sur les « origines indo-européennes ». Vous connaissez la passion que je voue à l’Ibérie transcaucasienne. C’est pourquoi, je vous ai donné une réponse prompte et fortement motivée par un événement fortuit. En effet, quelques heures plus tard, ce 12 octobre 1986, j’apprends aux nouvelles télévisées la mort de Georges Dumézil survenue la veille au soir à son domicile parisien. Je suis resté coi devant cette singulière coïncidence. Georges Dumézil, grand expert de la mythologie comparée, maître incontesté de l’étude des peuples indo-européens, a toujours été pour moi un fidèle compagnon de lecture. Sur le coup, je me suis senti très affecté par la disparition d’un homme qui passa sa vie à gambader à travers les mythes et qui, selon le mot de Claude Lévi-Strauss, « a créé une oeuvre monumentale et solitaire ». A dire le vrai, en apprenant cette nouvelle, je me sentis doublement affecté. En mon for intérieur je me disais :
Décidemment, cette année, les dieux rappellent nos grands esprits !
Georges Dumézil
Professeur au Collège de France
En effet, il serait inconvenant ou chauvin de rendre hommage à Georges Dumézil et oublier la disparition d’un grand historien des religions, roumain d’origine, professeur à Chicago où il est mort au mois d’avril de la même année. J’ai nommé Mircéa Eliade.
Mircéa Eliade
Professeur à l’Université de Chicago
A ces deux hommes, nous sommes redevables de la lumière portée sur les origines de notre civilisation. Puisse le propos qui va suivre perpétuer le souvenir de ces deux grands voyageurs de l’esprit qui fréquentèrent les dieux et les hommes de tous les continents, de toutes les langues, de toutes les mythologies…
Georges Dumézil se voulait un homme libre, un homme qui cherchait « par jeu » et, d’autre part, parce qu’il était nourri d’un grand Idéal – non pas celui du modèle indo-européen – mais davantage de l’éthique de Thalès de Milet et de Pythagore.
Avant de poursuivre, un constat s’impose :
Dès le 2ème millénaire avant notre ère, le modèle indo-européen avait déjà perdu toute sa grandeur. Pour retrouver la grande idée aryenne, sans se brûler au « soleil de fer » de la mystérieuse société Thulé fondée à Munich en 1918, force serait de remonter le fleuve des âges antérieurs, retrouver des traditions archaïques et, en ce cas, pour mener à bien cette recherche, passer de l’histoire profane à l’histoire occulte…
Aussi, je dirai ceci : le modèle indo-européen du 2ème millénaire n’était plus que la caricature désuète d’un paradigme immémorial ramené au rang du mythe de Léthé.
D’ores et déjà, Monsieur le Président, vous devez soupçonner et mesurer l’étendue de la recherche devant laquelle vous m’avez placé. En vérité, l’étude du thème des peuples indo-européens mériterait d’être orientée selon trois axes de recherche :
3 – le versant initiatique ou occulte
Je m’en tiendrai aujourd’hui à une présentation succincte sur le plan historique.
Que faut-il entendre par « indo-européen » ?
Nous disons « indo-européen » pour alléger le discours mais il convient de préciser : « peuples qui parlaient ou parlent des langues dérivées des dialectes, sans doute déjà différenciés, d’une même langue préhistorique, appelée, par convention, l’indo-européen ». Et cette langue originelle était sans doute vivante au temps où voisinaient encore, quelque part dans l’actuelle Russie, voire dans la « légendaire hyperborée », les ancêtres des hommes qui devaient, entre le 8ème et le 2ème millénaire avant notre ère, s’établir, les uns dans la vallée de l’Indus, les autres au bord du Tibre. Entre les alluvions de l’Indus et le fleuve romain, l’espace géographique est immense ; imaginons un instant la prodigieuse cavalcade, la chevauchée ancestrale de ces peuples du Nord, partis d’un foyer originel, et qui ont déferlé par vagues successives sur l’Europe, sur les rives de la mer Egée, pour s’évanouir ensuite au coeur de l’Asie profonde. Tous ces peuples avaient été des conquérants. Soif de terres et de batailles, besoin irrésistible de découvrir et de dominer, désir instinctif aussi de marquer leur vraie différence en niant les fausses frontières de l’Europe témoignant ainsi de l’ancestrale réalité de la lutte entre le Nord et le Sud, entre le monde blanc et le monde noir…
Les Aryas s’étaient avancés jusque dans l’Inde, les Hittites en Asie mineure… A l’est, les Goths, venus de la Baltique jusqu’en Ukraine, se sont divisés en Ostrogoths – « les brillants » – et en Visigoths – les « sages » -. Les Burgondes, venus de l’île de Bornholm ont glissé de l‘Oder vers le Rhin, etc.
L’île de Bornholm
Dresser l’inventaire de tous ces conquérants sans oublier les peuples conquis, n’est-ce pas une entreprise laborieuse ? Thokariens, Thraces, Phrygiens, Scythes, Cimmériens, Philistins, Gépides, Vandales, Alamans, Ripuaires et Saliens, les Angles, les Jutes, les Lombards, etc., pour les premiers… Basques, Ligures, Ibères, Sicules, Etrusques, Pélasges, etc., pour les seconds… et après avoir établi ce recensement un peu savant, avouons que nous n’avons rien dévoilé pour autant. D’ailleurs, Georges Dumézil, avec toute l’autorité qui lui est due, ne disait-il pas :
« Nous ne savons presque rien des peuples indo-européens. »
La preuve en est avec les « Hittites », peuple entier passé à la trappe de l’histoire. Les Hittites surgissent du néant vers 1900 avant notre ère. Ce que l’on peut appeler l’histoire conventionnelle des Hittites se résume en peu de mots. Ce dont nous assurent les savants, ce sont bien des envahisseurs, mais on ne sait pas très bien s’ils sont venus du Caucase ou des Dardanelles. Ils étaient indo-européens… peut-être ! Mais quand on a dit cela, chacun sait qu’on est pas plus avancé. Cela signifie seulement une parenté linguistique avec les peuples qui, en Iran et en Inde à la même époque, ont fondé d’autres empires, et avec ceux dont on ne parlait pas encore : les celtes, les Germains, les Slaves…
Qui étaient les Hittites ?
D’autre part, les philologues et linguistes s’accordent pour reconnaître que les Hittites parlaient au moins deux autres langues, en plus de la leur (le Hittite était une langue anatolienne), parentes mais différentes d’un point de vue philologique, ce qui complique la compréhension de ce système d’écriture, soit à partir de sa transcription en cunéiforme, soit sous la forme de hiéroglyphes hittites issus d’un dialecte du louvite. L’histoire de ce peuple n’est pas simple. On s’aperçoit plus tard, que sur le grand site de ces Hittites indo-européens dans la période de leur épanouissement (Moyen Empire – 1500), les inscriptions gravées le sont dans une autre langue appelée « hourrite » et qui a peu de rapport avec les langues indo-européennes. Les Hittites étaient-ils donc les disciples d’un autre peuple ? Un peuple qui aurait été le grand initiateur spirituel, et peut-être qui aurait donné la caste des prêtres…?
Ce questionnement n’est ni futile, ni fortuit. Il rejoint les travaux de Georges Dumézil sur la théorie de la « trifonctionnalité » chez les peuples mythiques :
- la fonction du sacré et de la souveraineté
- la fonction guerrière
- la fonction de production et de reproduction.
Je commenterai plus avant cette organisation tripartite que l’on retrouve dans les différentes institutions sociales comme celle du système de castes en Inde. Toutefois, ma question rejoint également la « piste kourgane » dont parle le Professeur André Martinet, pages 18 et 19 de son ouvrage : « Des steppes aux Océans ». Voici ce qu’il écrit :
« 5000 ans avant notre ère, le peuple de langue indo-européenne est localisé au sud-est de la Russie d’aujourd’hui, dans la région dite des kourganes. Les kourganes sont des tumulus où l’on retrouve les restes de ce qu’on suppose être un chef, entouré de richesses, souvent somptueuses. Nous avons là affaire à une société patriarcale hautement hiérarchisée, celle que laisse entendre la reconstruction sémantique. Le patriarcat des kourganes laisse supposer un panthéon essentiellement masculin reflétant les trois états de la société : les prêtres, les guerriers et les pasteurs. Il s’agit en effet, au départ, de nomades plus enclins à mettre à profit ce qu’ils rencontrent dans leurs errances qu’à susciter eux-mêmes, par la culture, l’apparition de nouvelles ressources. Ce sont des éleveurs, certes, mais ils restent, dans un sens, des prédateurs. Le cheval, plus attelé que monté, jouera un rôle important dans leur expansion. » (Fin de citation).
André Martinet
Professeur Université René Descartes
Ecole Pratique des Hautes Etudes
Concluons avec nos Hittites. Leur origine reposerait donc sur deux hypothèses. La première propose une origine anatolienne, et dans ce cas, les Hittites seraient autochtones. La seconde, retenue comme « hypothèse kourgane », situe l’origine des Hittites dans les steppes de Russie méridionale. Les Hittites auraient alors migré depuis les Balkans, puis auraient traversé les Détroits pour s’établir ensuite en Anatolie centrale.
On voudrait savoir comment a fini ce moment si extraordinaire, si riche, si inquiet aussi de ce peuple qui a bouleversé la culture d’un pays de 500 000 km2, les deux tiers de la Turquie moderne. Vainqueurs d’un peuple dont on ne sait rien, initiés par une nation dont on ne connaît que les inscriptions, dispersés par une invasion mystérieuse, les Hittites ont survécu pour disparaître à jamais… Certes, de nouvelles civilisations venaient de naître ou de resurgir, avec une puissance jamais connue.
Le moment est venu maintenant d’aborder un sujet qui fâche… : l’Ibérie… du latin uber signifiant fertile. J’emploie cette épithète à bon escient. Communément parlant, lorsque nous évoquons l’Ibérie, c’est la péninsule ibérique qui s’impose spontanément à notre esprit. Ajoutons « la Mer Ibérique » ou « Mer des Baléares » sur la côte nord-est de l’Espagne… et le tour est joué ! Ses premiers habitants connus sont les Lusitaniens et les Ibères, une population protohistorique sédentarisée depuis plusieurs millénaires dans des régions correspondant au Portugal et à l’Espagne actuels . Nos dictionnaires et nos atlas modernes affichent la plus sombre indifférence sur les origines des Ibères. Il faut se référer à de vieux dictionnaires pour apprendre que les ancêtres des Ibères d’Espagne étaient un peuple de l’antiquité présent en Géorgie, connu sous le nom d’Ibères caucasiens, qui s’appelaient eux-mêmes Iméréti dont l’étymologie semble remonter à une racine indo-européenne signifiant « fertile ».
L’Imérétie
Nous avons bien compris que, jadis, l‘Ibérie se situait entre la Mer Noire et la Mer Caspienne correspondant aujourd’hui à la Géorgie caucasienne. D’où une migration de peuples vers ces contrées fertiles, sans doute harcelés par d’autres venus on ne sait d’où. Ces peuples ont formé la population de base de la Gaule et de l’Espagne ainsi que celle des îles britanniques il y a 8000 ans voire plus. Autrement dit, les premiers Ibères ou Ivri (Ibri) ou encore Heber, qui étaient des colonisateurs, deviendront plus tard des peuples conquis et se sédentariseront en partie dans la péninsule dite « ibérique ». Il est établi que les Celtes ibériens apparentés aux Gaëls (plus tardifs) avaient pour berceau la grande steppe eurasienne que Georges Dumézil se plaisait à nommer « le vagin des nations ». Il est entendu que ces premiers ibères, de « source archaïque » ne doivent pas être confondus avec ceux qui déferlèrent par vagues successives entre le 3ème et le 2ème millénaire avant notre ère.
Avant de rejoindre les alluvions de l’Indus qui furent le théatre, à grande échelle, d’un phénomène invasif de type indo-européen, je cède une nouvelle fois la parole au Professeur Martinet. Sa réflexion, extraite de l’ouvrage « Des steppes aux océans » va nous aider à mieux comprendre un scénario identique qui se déroula dans la Vallée de l’Indus de l’actuel Pakistan.
« Vers l’ouest, en trois vagues successives qu’on date d’avant – 4000 à après – 3000, donc sur un millénaire et demi environ, le peuple des kourganes va pénétrer dans ce que nous connaissons aujourd’hui comme la plaine du Danube et les Balkans. Il y trouvera une civilisation avancée, de type matriarcal et agricole, donc culturellement aussi différente qu’il est possible de la leur, avec un culte et des déesses de la fécondité. Certes, les indo-européens vont finalement imposer leur langue et certains hôtes de leur Panthéon, mais non sans que ce soit produit l’amalgame qui nous vaut, en face des dieux du tonnerre et de la guerre, des déesses comme Gê, Demeter, Perséphone, Athéna, à côté de Vénus, des Junon et des Freya de sociétés où la femme est conçue, en priorité, comme « le repos du guerrier » ou la protectrice des héros. »
La Grande civilisation Harappéenne
Observons maintenant ce qui s’est passé dans les régions de l’Inde et du Pakistan.
4000 ans avant notre ère, dans la vallée de l’Indus, s’épanouit une civilisation née du culte de la Grande Déesse Mère. Florissante, cette civilisation nous donne, depuis le fond des âges, une vision surprenante de modernité : tout-à-l’égout, ramassages des ordures ménagères, commerce, exportation, échanges avec les pays voisins… Cette civilisation sédentaire et pacifique sera conquise et détruite par les Aryens nomades voués au culte du Père et dont l’aristocratie est essentiellement guerrière.
Or, cette civilisation de l’Indus, nommée encore civilisation proto-dravidienne ou harappéenne (du nom de la ville d’Harappa) était contemporaine de celles de Sumer, des Peslages (civilisation égéenne), des Etrusques ainsi que d’une grande civilisation occidentale quasiment délaissée : celle des Hamites englobant les Ibères, les Berbères et les Basques, entre autres peuples.
Mohenjo Daro et Harappa sont les sites importants du bassin de l’Indus. Les premières fouilles datent seulement de 1922. Aujourd’hui, l’étendue même des sites découverts, plus de cent, démontre que cette civilisation s’étendait sur une longueur d’au moins 1600 km et sur une largeur de 800 environ., soit une surface supérieure à celle de l’Egypte et de la Mésopotamie réunies.
Le plus surprenant est de constater que loin de trouver des peuples primitifs, alors que nous remontons à l’aube de notre histoire, nous découvrons tout le contraire, une civilisation hautement développée, extrêmement raffinée, prospère, avec une structure sociale et religieuse harmonieusement hiérarchisée, qui plus est, présente dans l’urbanisme des villes et dans la conception de l’habitat. Aux portes de cette civilisation, le peuple de Sumer présentait la même évolution.
Comme le souligne le Professeur Michael Jansen, nous ne connaissons actuellement que le centième de cette civilisation alors que la ville de Mohenjo Daro est menacée de disparaître et de se dissoudre en poudre ( construction du barrage de Sukkur, montée des nappes phréatiques, dessication des vestiges par le sel).
A ce jour, 38 000 figurines et sceaux ont été recueillis, et l’ensemble de ces documents permet de reconstituer la première grande religion de l’humanité qui était la religion de la vie elle-même associée à la vénération de tout ce que manifeste cette vie elle-même : la Terre, le Ciel, les animaux et les plantes. Les Védas de l’Inde ont gardé le souvenir de cette religion et on peut dire aujourd’hui que le dieu Shiva associé à ses trois parèdres – Shakti, aspect créatif et immanent – Parvati, aspect spatial et permanent – et Kali, aspect-temps destructif, ce dieu Shiva donc appartient à la grande civilisation proto-historique de la vallée de l’Indus et de ses prolongements sumériens, crétois, égyptiens, grecs, romains et, d’autre part, indochinois et indonésiens. Le Shivaïsme dans sa forme globale est donc bien antérieur aux invasions aryennes et c’est dans celui-ci que nous retrouvons l’origine d’une grande partie des rites, des mythes et des symboles des religions ultérieures.
On ne méditera jamais assez l’importance de l’invasion aryenne qui déferla sur l’ensemble de la planète voici 3500 à 4000 ans, et sur ce qui s’est passé, en particulier, dans le bassin de l’Indus. En effet, alors qu’il était communément admis que les Aryens nordiques avaient « civilisé » l’Inde ancienne, désormais il apparaît que ces envahisseurs blancs, venus de l’Asie centrale et du Caucase par les Hauts Plateaux de l’Iran, aient rencontré des peuples plus civilisés qu’eux-mêmes. Ce constat m’autorise à dire que cette invasion improprement appelée « indo-européenne », invasion agressive de type « colonialiste » à l’échelle planétaire, ne s’est peut-être pas, quoi qu’on dise, encore achevée… Il suffit de se remémorer la résurgence du mythe aryen en Allemagne, en 1918, sous l’inspiration de Rudolf von Sebottendorf… n’est-ce pas ? Sans perdre de vue, par ailleurs, que les contraires coexistent et que l’Aryanisme, hier à l’extrême droite, peut demain basculer à l’extrême gauche, car en vérité, toutes les dictatures se ressemblent. Je me range à l’opinion de Georges Dumézil qui affirme « que ce sont les états totalitaires qui, aujourd’hui, reproduisent le plus facilement la structure tripartite des indo-européens ». Nous en reparlerons dans quelques instants.
Revenons sur le choc historique entre les deux civilisations aryenne et dravidienne.
Nous venons d’évoquer le fait que deux concepts d’humanité profondément différents, sinon opposés, se sont affrontés. D’une part, la civilisation de la Déesse des protodravidiens était comme on l’a dit stable, agraire et pacifique (de très rares armes ont été retrouvés à Mohenjo Daro ; également on note l’absence de remparts). Elle vénérait sans doute un Dieu absolu mais sous les formes multiples et vivantes de la vie. C’était l’essence même du vivant qui était vénérée sous ses différents aspects : naissance, mort, fertilité, maturité… Il s’agissait donc d’une conception d’humanité profondément enracinée dans la nature même des choses et des êtres. Si la vie naît et se perpétue, si elle est un mystère insondable, on comprend aisément que de ses célébrations résulteront la richesse, l’équilibre, la paix et les fêtes du corps et de l’esprit. Cette conception, héritée de la grande religion primitive tient évidemment une place importante dans la littérature des Védas.
A l’opposite, les Aryens apportèrent avec eux leur dieu guerrier. C’est Indra qui se dresse contre Shiva, c’est l’arc qui tue contre la danse qui procure la joie. C’est encore le Dieu unique et Tout-Puissant, divorcé d’avec la Nature-Mère et qui désormais représentera l’autorité suprême. Le roi et les prêtres parleront en son nom et, au fil du temps, la loi divine s’affirmera par le dogme et la lettre. Sous le regard de ce dieu, les conquêtes se feront de plus en plus impitoyables. A la réflexion, nous voyons déjà apparaître à l’horizon le Dieu des Hébreux, un Dieu militant, rigoureux, autoritaire et invinciblement pharisaïque…
Indra - dieu de la guerre
Shiva - Seigneur de la danse
1500 ans avant notre ère, dans l’Inde protohistorique, l’ordre des choses va donc changer. L’homme va se murer, les remparts vont surgir et ils annonceront la société féodale de l’occident chrétien. Au fil des siècles, la joie des hymnes védiques s’épuisera pour faire place au doute, à la tristesse, thème majeur des Upanishads. Aussi les Aryens apporteront la civilisation du Père, avec son aristocratie guerrière, qui imposa des structures sociales andocratiques semblables à celles qui furent élaborées 3000 ans plus tôt dans la région dite des kourganes située au sud-est de la Russie d’aujourd’hui. Il est donc clair comme le dit si bien Alain Danielou :
« La grande religion des peuples nomades de l’Asie centrale est une religion centrée sur l’homme qui ne cherche l’appui des dieux que pour assurer sa sécurité et sa domination. »
Le Système tri-fonctionnel des indo-européens
Il serait inconcevable de parler des migrations indo-européennes sans évoquer le code social de ces peuples envahisseurs. En effet, le système socio-religieux, tri-fonctionnel de ces peuples résulte de trois classes primitives des Aryens, modèle qui a donné naissance en Inde aux trois castes du Brahmanisme. Au vrai, ce système est la reconnaissance du fait que tout organisme social, le monde divin comme les groupes humains, ne peut vivre que par le concours harmonieux et hiérarchisé de trois formes ou moyens d’actions :
1 – Ce qui relève de l’esprit, c’est-à-dire la religion, la philosophie, le savoir, le droit, la politique : CASTE DES BRAHMANES.
2 – Ce qui met en jeu la force physique pour la défense ou par l’attaque, les tâches herculéennes, les stratégies de guerre : CASTE DES KCHATRIYAS.
3 – Ce qui assure la durée, c’est-à-dire le ravitaillement, le commerce, le négoce avec toutes leurs conditions et leurs conséquences : CASTE DES VAISHYAS.
A ces trois classes primitives des Aryens fut ajoutée une quatrième réservée à la société laborieuse des travailleurs : CASTE DES SUDRAS.
Cette « sociologie aryenne » trouve bien sûr son équivalence dans l’occident chrétien :
- BRAHMANES PRETRES CLERGE
- KCHATRIYAS GUERRIERS NOBLES
- VAISHYAS NEGOCIANTS BOURGEOIS
- SUDRAS SERVITEURS ARTISANS/PAYSANS
Nous retrouvons ces correspondances en Union soviétique :
La première fonction est représentée par le Comité Central. La seconde par l’Armée rouge. La troisième par le productivisme de masse.
Le IIIème Reich avait également une structure tripartite.
L’ennui, c’est que dans notre Occident décadent, les valeurs sont inversées. La Pyramide « pointe en bas » fait que l’Occident ressemble à un « monde à l’envers ». Le meilleur exemple caricatural nous montre aujourd’hui que c’est le Sudra qui gouverne et le Brahmane qui balaie… Juste rançon d’un système tri-fonctionnel rigide qui n’a pas su s’ajuster à la triple loi de la Justice, de l’équilibre et de l’harmonie. Je vous disais au début de cet exposé que pour retrouver la grande idée aryenne, il faudrait remonter le fleuve des âges antérieurs.
A une époque fort lointaine, aux dires de certains auteurs, les castes ne formaient pas des compartiments séparés, hermétiquement clos. Tout individu muni des aptitudes et des qualités requises passait dans une caste supérieure. Je suis enclin à penser que les Guildes corporatives traditionnelles, à l’origine de leur institution, tentèrent de sauver cette tradition Tutélaire et Primordiale dont parlent René Guénon ou Jacques Duchaussoy dans leurs ouvrages. En vérité, nous ne comprenons plus la grande idée des castes correspondant aux quatre degrés d’évolution de l’homme et de l’humanité en général, modèle primitif qui devait être probablement souple et fluide et non rigide ou sectaire. Il est admis maintenant que le Brahmanisme en Inde représente la fossilisation d’un paradigme originel. Dans notre société dite « moderne », occidentale, on ne voit plus rien d’indo-européen si ce n’est dans les mouvances conservatrices. Ce n’est pas que notre société ne fabrique plus de mythes mais elle en vit. Ceux-ci sont le produit d’une société de communication où l’audio-visuel l’emporte.
On a dit que la tri-fonctionalité aryenne fit la grandeur de l’Inde et de notre occident médiéval. Il conviendrait de nuancer le propos. En substance, ce que nous pouvons dire, eu égard aux apports archéologiques, ethnologiques, philologiques, linguistiques ainsi qu’aux investigations des sciences avancées, c’est que les indo-européens sont loin d’avoir tout inventé. Il est clairement défini que leur modèle n’a rien d’original et qu’il représente seulement que des bribes d’un savoir plus ancien qui, avant, était commun à l’Inde et aux pays méditerranéens avant le désastre causé par les invasions nordiques.
Je cite une nouvelle fois Alain Daniélou :
« Devant l’avilissement d’une pensée religieuse devenue purement dogmatique, puritaine et sociale, non seulement en occident mais dans l’Inde moderne elle-même, il semble que la redécouverte d’une mythologie symbolique, d’une cosmologie qui ne sépare pas religion, métaphysique et science, d’un respect plus grand de la liberté d’être et de penser, qui n’est en fait que le respect du créateur qui a inventé l’homme, pourrait être la source de cette ère nouvelle qui doit succéder aux désastres qui menacent l’humanité. »
Alain Daniélou
Indianiste écrivain et musicologue
CONCLUSION
Je n’ai pu donner aujourd’hui que des aperçus succincts de cette immense et complexe histoire des migrations indo-européennes. Je me suis efforcé d’introduire ce thème en respectant la version historique des faits. J’ai donc banni volontairement toute allusion initiatique à la mission de Ram relatée par Edouard Schuré dans son célèbre ouvrage : Les Grands Initiés. Cela nous aurait conduit beaucoup trop « haut » et trop loin jusqu’à l’origine polaire des hyperboréens. De même, j’ai évité toute référence à la doctrine ésotérique, détentrice de l’Antique Sagesse, qui enseigne l’origine et la naissance des races. Dans ces domaines, la prudence est de mise. En effet, entre ce qui s’est passé il y a approximativement 850 000 ans, « Age d’or de la race aryenne » (selon l’histoire occulte), et le point de départ de notre civilisation (-6000 avant notre ère), que d’abîmes à explorer ! Que de chausse-trappes aussi à éviter !
Edouard Schuré
En 1918, à Munich, Rudolph von Sebottendorf, fondateur de la société Thulé, faisait remplir à tous ceux qui manifestaient quelque curiosité pour son groupement, une étrange demande d’adhésion :
« Je soussigné déclare, en connaissance de cause et en conscience que lui et ses ancêtres, ainsi que son épouse et les ancêtres de son épouse, n’ont pas dans les veines du sang d’une race étrangère. »
Malheureusement, ces idées-là ont fait le chemin que nous connaissons. A ce propos, Georges Dumézil disait prosaïquement :
« Les origines ne sont jamais pures, et ce qui sort d’un esprit n’est pas plus propre que ce qui sort d’un utérus. Il faut attendre que ça se nettoie. »
Dans l’immédiat, et en ce qui me concerne, comment ne pas céder au désir de pousser plus loin cette recherche, par-delà les migrations indo-européennes. Aussi, ce qui suit résumera brièvement le propos du jour et, conjointement, ouvrira de nouvelles pistes de réflexions. Il est admis, aujourd’hui, grâce aux travaux des archéologues, des savants et des historiens que deux grandes civilisations néolithiques, diamétralement opposées dans leurs conceptions, coexistèrent entre – 9000 et – 2000 avant notre ère.
La première de type patriarcal, dite « hyperboréenne » ou « nordico-boréale », se situait dans le grand nord près du cercle polaire arctique et englobait l’Islande, les îles britanniques, la Scandinavie et la Russie.
La seconde de type matriarcal, dite « méditerranéenne » ou « crétoise-mycéenne-pélagienne, s’étendait jusqu’en Chine en passant par Sumer et le bassin de l’Indus.
Par ailleurs, chacun sait que l’hémisphère nord subissait un dernier épisode de refroidissement à la fin de la dernière période glaciaire entre – 15 000 à – 8000 (glaciation vistulienne). Or, que s’est-il passé dans ces régions entre – 10 000 et – 2500 avant notre ère ? Quel est l’événement qui a fait que la souche originelle hyperboréenne se soit fractionnée obligeant tous les peuples « archaïques » à se mettre, les après les autres, en mouvement vers de nouveaux horizons ?
Sem contre Cham
Selon la Table des peuples, Sem, Cham et Japhet, les trois fils de Noé, suggèrent l’hypothèse d’une souche originelle qui serait transcaucasienne ou hyperboréenne. Noé aurait vécu 950 ans ( oups ! ).
Sem donna son nom aux peuples sémites, nomades, conquérants qui sillonnèrent toute l’Europe centrale, l’Anatolie et ce, jusqu’en Mésopotamie. Sem vécut 600 ans (re-oups !), ce qui laisse du temps pour explorer les alentours. Sem est l’ancêtre d’Eber (comprendre Ibri ou Ibère), lui-même ancêtre d’Abraham dont la vie se serait déroulée entre 1850 et 1500 avant J-C. Avec Abraham, la longévité commence à prendre du plomb dans l’aile. Le Patriarche serait mort à l’âge de 175 ans… Nous l’avons bien compris, Sem est l’ancêtre des Hébreux dont le foyer territorial n’est autre que l’Ibérie caucasienne ancestrale.
Cham serait né avant le déluge alors que Noé avait 500 ans. Il est l’ancêtre des Hamites ou des Chamites, un sous-groupe de la « souche caucasienne » (Europoïde) regroupant, en complément des populations sémites, les populations originaires d’Afrique du nord, de Lybie, d’Ethiopie, d’Egypte, d’Arabie voire de la région de l’Indus (population dravidienne). La durée de vie de Cham n’est pas mentionnée dans les récits bibliques.
Japhet, le troisième larron, dont on ignore s’il est né avant, pendant ou après le déluge, est l’ancêtre des « Japhetites » (peuples européens) qui vivaient dans notre actuelle Europe.
Les trois fils de Noé auraient reçu en partage les trois régions du monde : Asie, Afrique et Europe…
Quoi qu’il en soit, je me garderai bien d’embarquer à bord de « l’Arche » et de remonter le fleuve, à rebours, vers des contrées antédiluviennes. Nous en resterons donc là à seule fin de conjurer un nouveau déluge de réflexions sacerdotales.
Revenons à notre prospective scientifique contemporaine.
Les recherches de pointe en archéologie et en philologie nous apprennent, non sans étonnement, que les dieux grecs ne sont pas grecs, pas davantage hyperboréens, mais qu’ils descendent des peuples hamitiques enracinés après la dernière glaciation (- 110 000 à – 8000… ? ? ?) , dans la péninsule ibérique, en Afrique du nord, en Grèce, en Mésopotamie, en Ethiopie (pays de Kush) et dans la vallée de l’Indus. Quelle était donc la vraie souche originelle de tous ces peuples qui furent diablement chahutés par les dernières vagues d’envahisseurs dites « indo-européennes » ? La question reste entière.
De plus, l’étude des inscriptions hamitiques de la vieille Egypte et de Sumer ont révélé que ces peuples avaient une conception « holistique » du monde et de l’univers, conception confirmée aujourd’hui par la physique moderne. En d’autres termes, la tradition religieuse de Sumer et de l’Inde connaissait l’interdépendance de tout ce qui est vivant ainsi que l’analogie principielle de toutes les formes transitoires. Nous rejoignons là le haut enseignement du Shivaïsme primitif.
Comment en serait-il autrement ? La danse de Shiva et de sa Parèdre suggère l’action permanente des deux énergies fondamentales de la nature elle-même, masculin et féminin, c’est-à-dire les deux formes de la création qui n’en finissent pas de s’unir et de se diversifier à l’infini. Peut-être, nous arrêterons-nous un jour sur l’énigme de l’Abbatiale romane d’Arthous, dans les Landes, profondément marquée dans son ornementation par le symbolisme de Sumer et par l’hommage que ses pierres sculptées rendent à la Déesse Mère ? Une étude donc qui serait susceptible de jeter une vive lumière sur l’origine du peuple basque…
Abbaye d’Arthous - Pierres sculptées
Je souhaiterais revenir un instant sur l’oeuvre de Georges Dumézil, car le présent propos m’a conduit à une constatation qui mérite d’être examinée. J’ai dit au début de mon exposé que Dumézil avait exploré, enregistré, classé toutes les analogies, traqué toutes les énigmes se rapportant aux indo-européens. A la fin de sa vie, cet inclassable chercheur disait :
« Si j’avais un conseil à donner aux jeunes, ce serait de faire la même chose dans un autre domaine que l’indo-européen. »
Réfléchissant sur l’idée sous-jacente de cette phrase, j’eus le sentiment que Dumézil avait pénétré un secret ou du moins reconnu, d’un point de vue historique et philosophique, un système de pensée foncièrement différent de celui des indo-européens. Je m’explique. Le grand Idéal de Dumézil fut Thalès de Milet, l’éminent philosophe de l’Ecole Ionienne.
Or, ce qui suit doit être souligné fortement si on veut éviter les amalgames en tout genre. C’est la civilisation de la Déesse Mère ou encore la grande Tradition hamitique qui instruisit la Grèce et qui fut la dernière expression d’une culture multi-millénaire, précisément en Ionie au 6ème siècle avant J.C, ultime survivance représentée par deux « savants-philosophes » : Thalès de Milet et Héraclite d’Ephèse.
On appelait « hylozoïstes » les maîtres de l’Ecole Ionienne parce qu’ils concevaient l’univers comme un organisme constitué d’éléments indivisibles, interdépendants et soumis à une incessante métamorphose de systèmes d’Energie. Jamais Thalès et Heraclite n’eurent atteint ces hauteurs où accède aujourd’hui la physique avancée sans le concours d’acquisitions scientifiques soigneusement préservées par la confédération hamitique de la vieille Egypte, de Sumer et de l’Inde. L’enseignement remarquable de l’Ecole Ionienne subira une déformation par des grecs contemporains des savants d’Ephèse et de Milet, ces derniers arrivés par la vague dorienne (encore des indo-européens) n’avaient pas les aptitudes requises pour recevoir un enseignement de cette envergure sans le défigurer.
« Tout avance par discorde et nécessité »
Heraclite d’Ephèse
Ma conclusion, somme toute personnelle, sera la suivante :
Au 2ème millénaire avant notre ère, l’humanité a manqué le rendez-vous le plus fondamental, le plus impliquant de son histoire. Le choc de deux civilisations fortement opposées était, certes, inévitable. Toutefois, munificence oblige, le brassage ethnique de tous ces peuples, l’agglutination des langues et l’assimilation des connaissances inhérentes à ces deux civilisations, bref, tous ces facteurs d’évolution auraient du favoriser une élévation magistrale du niveau de culture de l’humanité, de surcroît, de son niveau de conscience. La conjonction de deux conceptions antagoniste et complémentaire eut été génératrice d’un « 3ème paradigme » brisant à jamais l’infernal dualisme faisant obstacle à un espace cognitif et réflexif où « les contraires cessent d’être perçus contradictoirement » selon la formule consacrée chère à André Breton. Car la résolution finale de cette césure dans le fonctionnement même de la pensée, aussi loin puissions-nous nous projeter dans les domaines de la Connaissance, constitue la seule posture correcte qui puisse réconcilier l’homme avec la trame cachée de l’harmonie universelle. En un mot, l’humanité se voue au malheur dès qu’elle perd le sens de son intime relation avec la Nature et le Vivant.
L’honorable Tradition de la Déesse Mère dont la dernière expression fut l’Ecole Ionienne s’est néanmoins ramifiée, au fil des siècles, par de multiples courants de pensée souterrains reliant l’ancienne et la nouvelle gnose. D’abord par la double voie de l’astrologie et de l’alchimie. Puis par la tradition philosophique et gnostique de Plotin, d’Apollonius de Tyane, de l’irlandais Pélage, du moine franciscain Siger de Brabant, de Giordano Bruno et même de Spinoza. Ensuite par la veine des romantiques allemands et des visionnaires : Jean-Paul Richter, Clémens Brentano, Novalis, Hölderlin, Arthur Rimbaud, Gérard de Nerval… sans oublier le mouvement des transcendantalistes américains avec Thoreau et Whitman. Enfin, dans un ultime écho, par les néo-gnostiques, grands maîtres de la métaphysique expérimentale, de l’écologie et de la nouvelle physique, savoir John Cowper Powys, Sri Aurobindo, Alan Watts, Gregory Bateson, Fritjof Capra, David Bohm…
Je laisse le soin à Gérard de Nerval d’apposer le dernier point de ma conclusion :
« Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours !
Le Temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique…
Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encore sous l’arc de Constantin
Et rien n’a dérangé le sévère portique. »
♦
Monsieur le Président et à vous tous chers amis, merci de votre attention.
A Angers, le 08 novembre 1986
Gabriel Plessis alias le Thélémite
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